Anecdotes & Réfléxions

13.11.15

Je me souviens parfaitement du 13 novembre 2015. Car je vivais à Paris cette année-là, enfin à Vincennes, et que j’étais sortie ce soir-là. Remarque, je me souviendrais parfaitement de cette nuit-là si je n’étais pas sortie non plus.

Je me souviens avoir quitté le bureau vers 18h, comme d’habitude. Je devais rejoindre une de mes collègues guide touristique en freelance ensuite pour lui remettre du matériel de travail. J’étais fatiguée mais en la rejoignant à la terrasse d’un bar, je me suis laissé tenter par un verre. Puis un deuxième. Puis un troisième. Puis une planche. Je me souviens avoir beaucoup ri en mangeant du pâté.

Je me souviens qu’à un certain moment, le patron du bar est sorti sur la terrasse, l’air inquiet. Puis, il nous (nous, occupants de la terrasse) a demandé de tous rentrer dans le bar. Nous nous sommes tous installés. Avec ma collègue, nous avons continué de rire et de manger du pâté. Pour un moment du moins.

Je me souviens que le patron du bar a fermé les portes et baissé la grille métallique. Il nous a tous enfermés à l’intérieur. Ma collègue et moi étions vers le fond et nous avons compris, petit à petit, que quelque chose ne tournait pas rond. Tout le monde autour de nous a arrêté progressivement de rire pour discuter plus calmement et demander ce qu’il pouvait bien se passer. 

Je me souviens qu’on a fini par nous dire qu’il y avait eu une fusillade. Les patrons de bar parisiens se sont donné le mot, ce genre d’informations peut aller très vite. Ils ont tous soit fermé directement et renvoyé les clients chez eux, soit barricadé tout le monde en attendant d’en savoir plus. 

Je me souviens que ma collègue a essayé d’appeler son copain, qui n’a pas répondu tout de suite. Nous avons arrêté de rire. Elle a commencé à s’inquiéter jusqu’à ce qu’il réponde.

Je me souviens que nous avons attendu ce qui m’a semblé être une éternité. En réalité, ça n’a peut-être duré que 30 minutes ou 1 heure. Le patron du bar nous a ensuite libérés quand ça a eu l’air d’être plus sûr. Il a fermé son bar et nous a dit de rentrer directement chez nous. J’ai laissé ma collègue qui elle rentrait à pied, je n’étais pas rassurée, ni pour elle ni pour moi. Puis j’ai à mon tour grimpé dans le métro pour rentrer chez moi.

Je me souviens de m’être senti étrange dans le métro. L’atmosphère était différente. Je n’avais pas accès aux réseaux sociaux sur mon téléphone à l’époque (j’ai mis du temps à me moderniser) alors je n’ai pas pu voir ce qu’il se passait. 

Je me souviens qu’en rentrant chez moi, j’ai allumé directement mon ordinateur. J’avais reçu des messages, sur Messenger et autres, que je n’avais pas vu avant de rentrer chez moi vers 23h. Ma sœur aînée, qui était déjà à Montréal en 2015, m’avait écrit pour me demander si ça allait alors même que je n’avais pas encore vu ce qu’il s’était passé. Et puis j’ai vu. J’ai vu l’horreur, la panique, la terreur. J’étais en sécurité chez moi mais j’ai tout de même pleuré toutes les larmes de mon corps. Tout m’a frappé. J’étais à 2-3 stations de métro du Bataclan, de la Belle Equipe. Ça s’est passé chez moi.

Je me souviens avoir passé un weekend horrible. Il reste flou. Je suis sans doute restée enfermée chez moi le samedi et le dimanche à regarder les nouvelles et m’assurer que tous mes amis parisiens allaient bien.

Je me souviens qu’en allant au bureau lundi matin, mes collègues et moi étions encore sous le choc. On a eu besoin de parler, d’échanger. Mon patron de l’époque a d’abord fait comme si on devait travailler normalement, comme si c’était une journée de travail comme les autres. Sauf que rien n’était normal. On a annulé toutes nos visites guidées à venir, jusqu’à nouvel ordre, prévenu notre clientèle (qui ne comprenait pas forcément pourquoi on annulait, ils ne savaient pas), rassemblé notre équipe de guides autour d’un déjeuner improvisé au bureau. On avait besoin d’être ensemble. Du moins, j’avais besoin qu’on soit ensemble, qu’on parle et qu’on se donne du temps. On ne savait pas pour combien de temps on annulerait les visites guidées. Pour autant de temps dont nous au bureau et notre équipe sur le terrain auraient besoin. Certains guides voulaient continuer. D’autres avaient peur ou n’étaient pas assez bien pour reprendre le travail.

Tout a changé ce soir-là, ce 13 novembre 2015. Pour la première et dernière fois de ma vie, je me suis sentie faire partie d’une grande famille parisienne. Pour une fois, nous étions tous ensemble, solidaires et accablés. Ce qu’il s’est passé n’a fait que créer de l’empathie, de la solidarité et de la colère. Et ce genre de sentiment a dépassé la peur.

Cette nuit-là est sans doute le souvenir le plus fort et le plus dur que j’ai de ma vie à Paris. En tant que Parisienne, le choc était plus palpable que si j’avais habité ailleurs. Cette onde de choc avait recouvert la ville et ses habitants de façon intense et intemporelle.

En 2021, avec le procès en cours, ces souvenirs qui sont là en permanence, tapis et insidieux, reviennent pointer le bout de leur nez. Je pense à toutes ces personnes qui n’ont pas eu la chance comme moi d’avoir été mises en sécurité alors qu’elles voulaient juste passer une bonne soirée, au Bataclan, à la Belle Équipe, au Stade de France, au Petit Cambodge… Je ne peux imaginer le calvaire qu’elles ont vécu et que certaines vivent encore aujourd’hui.

Le bureau de mon emploi en 2015 était à Bastille, à 10 minutes à pied à peine de la Belle Equipe. Bastille, c’était aussi 10 minutes à pied même pas des locaux de Charlie Hebdo qui avaient été attaqués quelques mois auparavant. Je passais souvent devant la Belle Équipe à l’époque, car c’était sur mon chemin pour certaines activités. Passer devant, la voir fermée pendant autant de temps, avec des éclats encore visibles, était très étrange. Le bar a rouvert quelques mois plus tard, je ne suis pas sûre de combien de temps après. Et la terrasse avait été reconstruite, redécorée et elle était toujours pleine à craquer les soirs. Comme quoi, le 13 novembre 2015 n’aura pas eu raison de la vie parisienne.

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